Réponse publique à la consultation publique préalable à l’entrée en vigueur de l’obligation de rendre accessibles les livres numériques
Émise par l’ARCOM

Gautier Chomel, responsable de projet (gautier.chomel@edrlab.org)

Hadrien Gardeur, membre du conseil d’administration (hadrien.gardeur@gmail.com)

Juillet 2024

Table des matières

Résumé

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est chargée à compter du 28 juin 2025 du contrôle de la conformité du livre numérique aux exigences d’accessibilité. L’Autorité a décidé d’engager une consultation publique afin de recueillir les observations des parties intéressées sur cinq axes de réflexion proposés sous forme de questions.

Nous proposons une réponse transversale en quatre parties sous la forme d’actions qui nous paraissent nécessaires pour assurer le meilleur impact possible de l’entrée en vigueur de l’obligation de rendre accessibles les livres numériques.

Ces actions consistent en amont à assurer une bonne prise en compte de l’état des lieux des possibles assortie d’une invitation à considérer la chaîne de livre numérique dans son ensemble, du créateur au lecteur ; une fois ces prérequis établis, il en découle deux recommandations consistantes à mesurer et valoriser les efforts, progressifs et partiels, lorsqu’ils permettent d’atteindre l’état de l’art à un coût raisonnable. Cette démarche facilitera les évolutions futures en réduisant la marche lors de l’évolution des possibilités offertes par les standards ou les outils de lecture.

Si le paysage de l’édition accessible en France semble préparé à répondre aux exigences d’accessibilité, le manque de données sur l’état des collections et d’outils pour obtenir, visualiser et comprendre ces données est problématique car il n’est pas possible de mesurer les manques ni de valoriser les efforts réalisés.

Nous savons que les contenus textuels sont mis en conformité depuis plusieurs années grâce à la mobilisation de l’interprofession, mais il est aussi certain qu’une progressivité est nécessaire pour pouvoir produire et consommer de façon accessible les contenus visuels et mises en pages complexes. L’autorité de contrôle devrait encourager l’innovation.

1. Prendre en compte l’état de l’art, les limitations des standards et les travaux en cours

L’accès à la lecture s’inscrit dans un écosystème numérique pour lequel les maisons d’édition sont invitées à respecter des standards qui permettent aux acteurs en aval de la création de structurer leurs pratiques et de s’assurer du bon fonctionnement de l’ensemble des outils de diffusion, de distribution et de lecture. Une bonne connaissance de l’état des lieux et des enjeux liés à ces standards et à leur usage est donc une priorité nécessaire à toute évaluation des efforts réalisés ou de ceux restants à fournir.

État de l’art des standards

Concernant les contenus textuels, Le standard EPUB (Electronic Publication) est le format de livre numérique le plus répandu et est supporté par de nombreux appareils de lecture. La version 3.0 d’EPUB, publiée en 2011, a introduit des fonctionnalités d’accessibilité améliorées, telles que la prise en charge de la synthèse vocale, des descriptions alternatives pour les images, et des balises de structuration du contenu pour faciliter la navigation. EPUB 3.x est également compatible avec les normes d’accessibilité telles que WCAG (Web Content Accessibility Guidelines) et ARIA (Accessible Rich Internet Applications).

Les contenus à mise en page fixe (FXL) peuvent être rendus accessibles aux utilisateurs de lecteur d’écran, mais restent inadaptables aux besoins d’ajustement de l’aspect. L’outillage pour produire et manipuler ces formats est aussi peu adapté à la réalisation de fichiers de qualité en terme informatique, la priorité étant fixée sur la qualité du rendu visuel. Bien que le W3C ait récemment publié un document de bonnes pratiques concernant la mise en accessibilité des fichiers FXL, les solutions restent partielles et pourraient dépendre en partie de la mise en place de nouvelles fonctionnalités dans les applications de lecture, comme l’extraction du texte pour en permettre l’adaptation.

Côté livre audio, malgré les tentatives, force est de constater l’absence d’utilisation de standards. Les acteurs du marché continuent de s’appuyer en bonne partie sur de simples pistes audio, augmentées d’un fichier Excel ou CSV pour documenter des métadonnées partielles. Bien que le livre audio soit souvent
considéré comme synonyme d’accessibilité, c’est en réalité un format qui n’est que partiellement accessible car il n’adresse qu’un sens (l’ouïe) et offre peu de possibilités de repérage et de navigation. Un certain nombre d’organisations s’intéressent à cette question, sans qu’il existe de coordination internationale ou au sein d’une organisation visant à produire un standard. En conséquence l’accessibilité de ces contenus ne peut être mesurée que dans un environnement cloisonné, le livre étant indissociable de son application de lecture.

Les référentiels de métadonnées utilisés pour décrire les ouvrages et transmettre l’information sont en cours d’évolution. On distingue deux grands ensembles avec d’une part l’utilisation d’ONIX pour la distribution et la vente en ligne, alors que les bibliothèques continuent de s’appuyer sur des variantes de MARC.

Suite aux travaux effectués, notamment par EDRLab, sur la question du signalement des fonctionnalités d’accessibilité, ONIX a été mis à jour à trois reprises depuis septembre 2023. Ce référentiel permet désormais une description complète des modes de lecture et fonctionnalités d’accessibilité, mais son appropriation par les maisons d’édition et les acteurs de la diffusion et de la distribution doit encore s’améliorer.

Des suggestions ont également émergé de ces mêmes travaux concernant les champs MARC. Toutefois, le milieu des bibliothèques et de leurs systèmes d’information et de gestion (SIGB) progresse généralement selon un calendrier plus étendu. Ainsi, il est peu probable que des solutions complètes soient implémentées dès juin 2025, mais plutôt que des mises en place partielles soient suivies d’améliorations progressives.

État de l’art des solutions de lecture

Les solutions de lecture suivent les évolutions des standards. Peu d’applications se démarquent en proposant des fonctionnalités de lecture satisfaisantes.

On constate un certain nombre de points clefs à améliorer :

  • Très peu d’applications sont utilisables avec des lecteurs d’écran, que ce soit lors de la lecture ou du côté de leurs interfaces. </li >
  • En dehors de Thorium et Cantook, presque aucun support pour l’affichage des métadonnées d’accessibilité. </li >

  • Les options de personnalisation restent encore trop limitées, il manque assez souvent des contrôles fins sur l’espacement (lettres et mots en particulier), sur la présentation du texte (graisse de la police, normalisation) et la majorité d’entre elles se contentent d’embarquer OpenDyslexic plutôt que d’offrir plusieurs choix de polices spécialisées aux usagers. </li >
  • Peu d’applications offrent une fonctionnalité de synthèse vocale sans passer par un lecteur d’écran, alors qu’il s’agit d’une fonctionnalité clef pour les publics dys. Pour les applications qui l’implémentent, il reste aussi des efforts à faire au niveau des options de personnalisation (choix de la voix, surlignage et suivi du texte) et sur la contextualisation du texte (par exemple annoncer la présence d’une note de bas de page). </li > </ul >

    Les travaux sur des fonctionnalités de lecture avancées pour les EPUB FXL et les PDF restent encore balbutiants. On parle notamment d’un mode lecture qui permettrait d’extraire du texte du contenu, ainsi que les textes alternatifs. En présentant ce texte dans une vue permettant à l’utilisateur d’ajuster la mise en page et la présentation du texte, on pourrait offrir une expérience particulièrement utile pour les utilisateurs ayant des troubles d’apprentissage ou des difficultés de lecture.

    EDRLab collabore avec le groupe Transition to EPUB piloté par le consortium Daisy qui travaille notamment sur les l’évaluation des solutions techniques pour les contenus complexes comme, par exemple, les descriptions étendues pour les images et les graphiques complexes qui permettent de fournir une description détaillée d’une image ou d’un graphique, ce qui permet aux utilisateurs de lecteurs d’écran de comprendre les contenus visuels complexes.

    2. Considérer l’accessibilité du livre numérique dans sa globalité, de la création à la lecture

    Les problématiques en matière d’accessibilité des ouvrages pour les personnes en situation de handicap nécessitent une réflexion globale à la fois sur les pratiques et outils à disposition des maisons d’édition, mais aussi sur les solutions de lecture proposées aux publics concernés.

    Un ensemble d’outils est disponible, mais leur agencement et mise en œuvre nécessite un haut niveau technique.

    Bien que des outils de création de contenu accessibles existent, tels que le standard EPUB, base de connaissance Daisy KB, et les outils de vérification comme Epubcheck, ACE et SMART, leur utilisation requiert une expertise approfondie. Cela peut entraîner des difficultés pour les professionnels et favoriser la dépendance à l’égard d’un petit nombre d’acteurs.

    Il est nécessaire de développer des outils grand public plus simples à utiliser. Des kits de développement open source devraient être mis à disposition pour garantir que les producteurs d’outils se concentrent sur l’utilisabilité et que les mécanismes complexes sous-jacents soient solides, car bâtis sur des fondations et des architectures maîtrisées et harmonisées par l’interprofession.

    En outre, les progrès de l’intelligence artificielle, en particulier dans le domaine de la génération de contenu, devraient être encadrés pour garantir le respect des droits d’auteur et la qualité des contenus générés.

    Une chaîne de transmission en mutation

    Les travaux effectués dans le cadre du projet Signalement piloté par EDRLab ont permis la mise en œuvre de preuves de concept concernant l’affichage des informations d’accessibilité. Les librairies indépendantes sont ainsi en bonne voie pour répondre aux besoins, même si des enjeux persistent. Les plateformes internationales profitent de ce travail de fond porté par l’interprofession.

    Côté bibliothèques, le paysage des portails de mise à disposition de contenu est mesuré depuis 2014 grâce au Baromètre de l’accessibilité numérique en lecture publique porté par la La Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC, Service du livre et de la lecture).

    Convergence nécessaire des outils et des pratiques de lecture spécialisés et grand public

    Côté lecteur, il a plusieurs fois été pointé un manque d’information sur les possibilités offertes par l’édition nativement accessible. Pour que l’impact de la
    mise en accessibilité des livres numériques soit effectif, il est nécessaire de considérer le lecteur comme faisant partie de l’écosystème et de s’assurer qu’il est en mesure de s’emparer de cette offre nouvelle.

    Les personnes en situation de handicap peuvent utiliser des appareils spécialisés pour accéder aux ouvrages. Ces appareils, souvent coûteux, ne fournissent à ce jour qu’un support limité pour le lecture des formats grand public comme l’EPUB3. Une absence de support des méthodes de protection est aussi constatée. Les appareils de lecture grand public, tels que les liseuses électroniques, peuvent offrir une alternative intéressante, à condition qu’ils soient compatibles avec les besoins des personnes en situation de handicap. Il est donc important de favoriser la convergence entre les appareils de lecture spécialisés et grand public pour proposer des solutions accessibles et pratiques.

    Un autre aspect à prendre en compte est l’information et les compétences des lecteurs en matière d’utilisation des outils numériques. Il est essentiel de fournir des informations claires et complètes sur les outils et les pratiques de lecture accessibles, ainsi que de proposer des formations adaptées aux besoins des différents publics.

    3. Mesurer l’état des collections et anticiper les risques pour se donner les moyens de piloter et mesurer les impacts.

    L’évaluation de l’impact des exigences d’accessibilité sur l’offre qui sera mise à disposition des personnes en situation de handicap est impossible en raison du manque de données sur le sujet. La situation actuelle des collections est en effet inconnue, et sans point de référence il ne sera pas possible d’évaluer l’impact réel des efforts réalisés.

    L’étude réalisée dans le cadre du projet
    Accessible Backlist Ebook Laboratory
    (ABELab) a montré que les collections françaises sont majoritairement disponibles au format EPUB3, ce qui rend leur qualité intrinsèque adaptée à la lecture dans différentes conditions sensorielles. L’enjeux principal consiste à ce jour à augmenter ces contenus avec des alternatives textuelles pour les ressources graphiques signifiantes, c’est-à-dire une tache principalement éditoriale.


    Mais des données présentées par le distributeur De Marque en décembre 2023 montrent que seulement 0,028% du catalogue se déclare conforme à un standard assurant la conformité avec les exigences de la directive, notamment en raison d’une absence de métadonnées communiquées en ONIX ou d’un usage limité des métadonnées de conformité en EPUB.

    Observatoire et baromètre

    Une analyse de l’existant est nécessaire. Celle-ci peut être réalisée à deux niveaux, d’abord sur une base déclarative en regardant les métadonnées d’accessibilité fournies par les éditeurs dans les fiches ONIX, ensuite enrichie par une analyse des fichiers pour compléter l’information souvent manquante. Une telle analyse devrait montrer qu’à ce jour il existe déjà de grandes portions de collection accessibles à un grand nombre de personnes. Elle permettrait d’agir comme outil d’information pour tous les acteurs de la chaîne, des éditeurs aux lecteurs et de valoriser les progressions réalisées dans les années à venir.

    Afin d’assurer une information équivalente dans les différents pays, EDRLab envisage de porter une telle initiative en proposant des outils et une méthodologie applicable aux niveaux nationaux puis en fédérant les résultats.

    Anticiper les risques

    Il est nécessaire de considérer que des impacts négatifs sont possibles. Tout d’abord, il existe un risque de disparition de la diversité des ouvrages proposés. En effet, les maisons d’édition pourraient se concentrer sur les ouvrages les plus populaires et les plus rentables, laissant de côté les ouvrages moins lus, mais tout aussi importants pour les personnes en situation de handicap comme pour le public en général.

    Ensuite, le manque d’outils utilisables sans compétences techniques avancées est un frein à la mise en conformité des ouvrages. Certaines maisons d’édition pourraient se trouver dépendantes des prestataires de service à haut niveau technique pour la mise en conformité de leurs ouvrages, ce qui pourrait entraîner des coûts supplémentaires mais aussi une concentration des acteurs de la fabrication numérique et par conséquent des disparitions de diversité dans l’écosystème varié du secteur de l’édition en France.

    4. Valoriser les efforts de mise en accessibilité progressive

    Des solutions simples et peu coûteuses doivent être mises en place pour encourager les maisons d’édition à rendre leurs ouvrages le plus accessible possible. La mise en œuvre d’actions simples au niveau des collections devrait être considérée et favorisée, cela inclut par exemple le fait d’ajouter une information sur les fonctionnalités d’accessibilité à tous les ouvrages.

    Ce type d’action visant à caractériser les manques devrait être valorisée comme telle de façon à encourager le plus grand nombre de maisons d’édition à rendre accessible le plus grand nombre d’ouvrages, même si cette accessibilité reste partielle et devra être améliorée dans le futur dans une démarche progressive.

    L’information comme prérequis

    Tout d’abord, l’Arcom devrait prendre en compte positivement la présence d’informations d’accessibilité, premier indicateur de responsabilité de l’éditeur. Cela prouve en effet que la maison d’édition a fait la démarche de connaître l’état des lieux de l’accessibilité et assure que le lecteur n’achètera un livre partiellement accessible qu’en connaissance de cause.

    Considérer l’importance de l’information représentée visuellement

    Selon les données présentées par le distributeur De Marque en décembre 2023, seuls 5,6% des livres se signalent comme intégralement lisibles en voix de synthèse ou braille. Pourtant 7,1 % de livres supplémentaires n’ont aucune image en dehors de la couverture et devraient également se signaler comme intégralement lisibles avec d’autres sens que la vision.

    Pour le reste des catalogues, une première itération consiste à indiquer les visuels non porteurs d’information. Des règles simples devraient permettre rapidement d’identifier des séries d’images décoratives.

    De cette façon, il sera possible de compter les illustrations ou schémas complexes nécessitant la création de contenus textuels supplémentaires. Ces éléments étants ceux qui auront le plus fort impact sur la charge de travail pour rendre accessibles les contenus.

    Favoriser la complémentarité des formats

    Il convient de considérer la complémentarité des formats pour les ouvrages disponibles en multiformats. Les personnes en situation de handicap ont des besoins différents en matière de lecture, et il est important de proposer des formats adaptés à ces besoins. Le seul format à même aujourd’hui de répondre au plus grand nombre de besoins est le format EPUB3 réorganisable, néanmoins pour certaines collections il peut être nécessaire pour les maisons d’édition de proposer des formats complémentaires comme des mises en page fixes ou des livres audio.

    L’accessibilité d’un titre devrait être considérée à la lumière des différents formats proposés et de leur complémentarité pour proposer une offre d’accessibilité diversifiée. La disponibilité de titres dans des formats spécialisés, adaptés dans le cadre de l’exception au droit d’auteur devrait aussi être considérée pour déterminer la disponibilité ou non dans un format accessible aux personnes empêchées de lire le texte imprimé.

    Cela implique que les éditeurs et les acteurs intermédiaires s’accordent sur des méthodes partagées pour lier entre elles les expressions d’une œuvre.

    Temporiser pour les contenus complexes

    En ce qui concerne le contenu complexe, la mise en accessibilité pour les personnes utilisant un lecteur d’écran peut constituer une altération fondamentale de l’œuvre. L’état de l’art des standards techniques et la disponibilité des outils de production ne permettant pas la réalisation d’ouvrages aux fonctionnalités avancées, il est nécessaire de valoriser les expérimentations sans pénaliser l’existant, au risque de voir disparaître des pans entiers de collections numériques.

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